Les nouvelles frontières de l’éditique

Désormais au service de l’expérience client, l’éditique est bousculée hors de ses frontières traditionnelles. Le CRM, l’ECM, les outils d’analyse et le BPM sont-ils en train de lui disputer son monopole sur la production documentaire ou lui fournissent-elles l’occasion de franchir une nouvelle étape ? Cinq éditeurs répondent.

« Le client est roi » et les différentes fonctions de l’entreprise n’ont plus qu’à suivre. La production documentaire subit de plein fouet les conséquences de ce recentrage de la stratégie de l’entreprise sur ses clients. Sous la pression d’objectifs toujours plus ambitieux, les responsables marketing, relation client et les commerciaux se tournent vers l’éditique avec une seule demande : avoir les coudées franches pour agir à leur guise. « Nous sommes à l’ère des scribes alors que tout le monde veut écrire », résume Didier Delhaye, directeur marketing de Cincom. Hier considérée comme une qualité, la relative rigidité des systèmes centralisés de production documentaire est en train d’être perçue comme un frein, sinon un défaut. « Le rythme des communications client s’est considérablement accéléré en quelques années seulement et exige maintenant une vision à 360°  et quasiment en temps réel des interactions avec le client », note pour sa part Alexandre Laverdure, spécialiste de la Communication Client chez Pitney Bowes avant de rappeler le rôle essentiel que la communication sortante, quel que soit le canal de diffusion, joue dans la qualité de l’expérience client.

Les métiers prennent la main

Après avoir été l’instrument d’une reprise de contrôle, la production documentaire se voit déjà bousculée dans ses frontières et dans ses prérogatives par une multitude d’outils métiers qui viennent lui contester son monopole historique sur la communication client. « Le changement marquant, c’est que l’éditique est en train d’entrer dans l’écosystème des métiers », observe Didier Delhaye. Or pour les marketeurs, les responsables de la relation client ou les commerciaux, le document n’a qu’une seule utilité au bout du compte, éviter de perdre le client et devoir dépenser trois fois plus pour le reconquérir que l’on a investi pour le séduire la première fois. « L’idée force, c’est que l’on attend aujourd’hui de la production documentaire qu’elle rende des comptes et qu’elle soit capable de se conformer en temps réel aux attentes des clients », argumente Jean-Baptiste Adet, Directeur CEM EMEA d’OpenText. En ligne de mire, la multiplication des modes de diffusion. Si la pression des métiers était un incendie, l’évolution permanente des technologies de communication jouerait sans aucun doute le rôle de l’accélérateur. « Tous les six mois, on voit apparaître de nouveaux canaux de diffusion tandis que d’autres perdent de l’importance. Dans un tel contexte, les décisions stratégiques sont très difficiles à prendre », observe Philippe Fillipi, directeur général de Compart France. Une effervescence technologique qui serait vécue comme particulièrement perturbante pour les services éditiques des entreprises. « Ce qui peut faire peur à certains aujourd’hui, c’est que les frontières se brouillent de plus en plus. La notion de document par exemple, est de plus en plus floue. Au delà, c’est tout le périmètre des responsabilités des acteurs de la chaîne de l’expérience client qui est en train d’être redéfini », analyse Jean-Philippe Khristy, Directeur du Pôle relation clients chez Docapost EBS – Sefas.

Question de place

Dominée par le CRM, outil roi de la gestion de la relation client, mais aussi talonnée par l’ECM en tant que référentiel des documents de l’entreprise, l’infrastructure de production documentaire (DOM,Document Output Management), se cherche à nouveau une place bien à elle. « L’éditique va devoir apprendre à se servir des informations mises à disposition par les autres systèmes de l’entreprise pour leur restituer une forme de valeur ajoutée sous la forme de documents mais aussi grâce à des informations contextuelles », suggère Alexandre Laverdure. Mais ce verre à moitié plein peut aussi être vu à moitié vide. Car, et tous les éditeurs le reconnaissent, ce qui compte aujourd’hui est bien plus l’information à l’état brut que le document qui la véhicule. « Tout part de l’information. La convergence est d’abord celle des données provenant de tous les points de contact avec le client, avant d’être celle des outils qui la manipulent », ajoute le spécialiste de la communication client chez Pitney Bowes. « En définitive, la production documentaire n’est que le point de livraison d’une chaîne de relation client pilotée par le CRM et alimentée par l’infrastructure ECM », analyse de son côté Jean-Baptiste Adet. Si l’éditeur d’ECM est lui aussi d’accord avec l’idée qu’il convient de distinguer information et document, il fait une toute autre lecture du périmètre de chaque discipline. « Il faut sortir des sentiers battus et des approches traditionnelles. Nous sommes à la croisée des chemins entre la production documentaire que nous connaissons et de nouveaux processus qui sont encore à inventer pour la plupart », poursuit le directeur CEM EMEA d’OpenText, avant de pronostiquer une intégration des briques technologiques à une plus large échelle encore, qui inclurait les outils d’analyse (BI Business Intelligence) et les gestionnaires de processus (BPM, Business Process Management).

Orchestra conductor hands batonOn demande le chef d’orchestre

« Ce qui manque aux entreprises pour concrétiser cette vision, c’est un chef d’orchestre », tempère Jean-Philippe Khristy. Pour garder la maîtrise d’un mouvement de consolidation auquel elle ne pourra de toutes façons pas échapper, poussée qu’elle est par les attentes de ses clients et par les métiers, l’entreprise a tout intérêt à prendre autant de hauteur que possible. Et pour y parvenir, elle ne pourra vraisemblablement compter que sur elle-même. Car si les éditeurs apportent chacun leur vision du problème, il faut bien quelqu’un pour les réunir autour de la même table et décider de la stratégie. Sur le papier, le nouveau rôle a déjà su se trouver un nom, l’Enterprise Information Manager (EIM) et une mission transverse de coordination de tous les enjeux liés à l’information d’entreprise et à sa communication. Mais dans la pratique, les entreprises qui ont atteint ce stade de maturité sont encore peu nombreuses. « Il faut la volonté de mettre en œuvre un projet architectural d’ensemble, ce qui passe par un véritable changement de culture », analyse Didier Delhaye. Chaque service de l’entreprise devrait y jouer sa partition : aux métiers de prendre, mais n’est-ce pas ce qu’ils demandaient, la pleine responsabilité de définir et de mettre en œuvre leurs applications documentaires, à l’informatique de simplifier l’accès aux technologies éditiques en imaginant des services d’infrastructure flexibles et évolutifs.

Communiquer intelligemment, ça rapporte

La principale difficulté sera de faire simple, prévoit Alexandre Laverdure de Pitney Bowes pour qui il ne peut y avoir, dans ce domaine, d’approche « big-bang » mais bien plutôt une combinaison d’expertises de plus en plus poussées « misent autour de la table » par l’entreprise. Pour concrétiser cette agilité documentaire dont elles rêvent à peu près toutes, les entreprises n’ont d’autre choix que de progresser à petits pas, étapes par étapes, en cherchant à la fois à préserver l’existant et à le transformer. « En définitive, nous sommes face à une évolution plus qu’à une révolution. Le travail de consolidation des technologies de communication et d’expérience client ne peut se faire avec succès qu’au cas par cas, en se fixant à chaque fois pour objectif de rendre l’utilisateur métier de plus en plus autonome grâce à des automatismes qui permettent à la technique de véritablement s’effacer devant l’usage », poursuit Didier Delhaye avant d’insister sur un point selon lui crucial, la nécessité de commencer sans attendre. Le recentrage de la stratégie d’entreprise sur l’expérience client a déclenché une lame de fond. « Après l’industrialisation de la production documentaire, il s’agit maintenant d’industrialiser et de simplifier au passage les interactions avec les autres briques majeures de la gestion de l’expérience client », enchérit Jean-Baptiste Adet.

Flying Super hero businessmanUn défi qui sonne pour l’éditique comme une formidable opportunité. Celle de passer du statut peu enviable de « mal nécessaire » à celui plus valorisant d’accélérateur du business. Changement d’image, l’éditique au service de l’expérience client ne permet plus seulement de faire des économies, elle est aussi génératrice de profits sonnants et trébuchants grâce à une communication plus intelligente. Chez Pitney Bowes, on cite ainsi volontiers l’exemple de Dell qui s’est appuyée sur l’analyse de la visite de ses sites web pour convertir en bons d’achats nominatifs les sommes qu’il consacrait à envoyer des catalogues papier à des clients qui ne les ouvraient même pas. Résultat, des ventes en hausse de 18% sur cette cible de client et plus de 90 millions d’euros économisés chaque mois.

 

PaulPhiliponEnquête réalisée par Paul Philipon Dollet pour DocauFutur, l’avenir du document